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Espaces numériques virtuels et droits d’auteurs réels

Échanges avec Paul Rony.

Rédactrice

Sophie Rouay-Lambert, Urbaniste-Sociologue, Chercheure référente 

Octobre 2021

La dernière grande époque de réactualisation de la notion de communs et de réouverture de la définition arrive avec Internet, et avec la création progressive de ce que l’on appelle les communs numériques. Avec Internet arrive la question des logiciels propriétaires ou libres, la question du code et de l’open source, et parce que la notion d’internet, de l’échange des logiciels et de procédures, a amené la question des droits d’auteurs et de la propriété intellectuelle. La question n’est pas nouvelle mais elle se pose autrement du fait de la facilité d’accès aux ressources (production, document, savoirs, etc.) qui vient faire entrer en collision cette question du commun et de ce qui est censé être le bien immatériel, le bien de tous et la propriété. 

Peut-on envisager d’autres modèles de propriété ? À quel endroit trace-t-on la limite de la propriété ? Qu’est-ce qui relève du privé et du public ? Qu’est-ce que l’on accepte de montrer, de partager et qu’est-ce qui n’a pas vocation à être partager et à être mis en commun ? Tout cela pose également les questions de règles d’usage de communauté, de ressources et de logiciels. 

Aujourd’hui, quand on réfléchit aux communs numériques, un penseur libéral revient souvent à l’esprit, c’est Walter Liepmann 1 Pour lui, tout ne doit pas être soumis au marché car le marché n’est pas capable de s’autoréguler facilement. Situé dans les années 1930, il pense le libéralisme contre l’autoritarisme, et s’inquiète de l’alliance de la droite avec les militaires et sa prémisse est que l’on essaye de substituer au marché l’autorité, et quelque chose de beaucoup plus coercitif. 

Aujourd’hui, c’est totalement à cela que l’on assiste dans les communs numériques et l’open source en est une très bonne réponse : les développeurs, aujourd’hui, ont bien compris que même s’ils vont gagner de l’argent ils doivent s’investir autrement. Cela prouve qu’il y a une véritable crise non pas de la vocation mais du rôle des développeurs dans le numérique. Quand ils vont travailler pour une grande marque, Apple, Google, ou dans une Start up, qui n’a pas de mission plus grande que celle de faire du profit, les développeurs vont très souvent collaborer sur des projets d’open source en dehors de leur travail, projet qui va ensuite permettre aux entreprises de vivre ! Aujourd’hui, 90 % des profits générés par Apple, Google, Microsoft, le sont, grâce à des projets open-source. Et cela doit nous interroger.

Dans le monde physique c’est bien un peu pareil. Il y a des communs qui sont entretenus par toute la société, pour lesquels on paie tous ou on travaille tous, mais qui permettent à d’autres de créer des profits énormes qui ne retombent jamais. 

Dans le numérique, on est donc en train de réfléchir à une nouvelle approche, repenser le DRM : c’est une espèce de mouchard que l’on met sur un fichier qui ne peut être utilisé que par un utilisateur ou un logiciel dans des conditions très précises. Et deux courants s’affrontent dans l’open source et dans le numérique en général : 

— ceux qui pensent mettre tout sous la licence MIT c’est-à-dire que tout projet open source doit être réutilisable et remixable par n’importe qui, de n’importe quelle manière y compris dans un projet qui peut faire du profit ; 

— ceux qui défendent une seconde voie, celle d’une licence GPLD3, qui indique que le code source, que l’open source doit être contaminant, ce qui est une réflexion très intéressante pour le reste de la société, ce qui signifie que si l’on utilise du code open source dans un projet qui ne l’est pas, le projet devient nécessairement open source et il est obligatoire pour les développeurs de ce second projet de le donner à la communauté en échange pour motif que sans cela, leur projet n’aurait pas pu exister. 

2 https://www.kosmik.app

C’est une réflexion que l’on porte dans mon entreprise Lithium 2. On essaie de trouver une troisième voie : celle d’un droit d’auteur miniature. Par exemple, les papiers de recherche scientifique doivent, d’un côté, faire vivre leurs auteurs, permettre à l’humanité de progresser. Ce sont donc nécessairement des biens que l’on a besoin d’avoir en commun, mais les scientifiques doivent bien vivre également. On est donc en train de réfléchir et d’appliquer cela aux codes sources et dans tout objet numérique : un droit où l’on n’est pas obligé de protéger toutes les parties d’un fichier, que ce soit un code ou un document de recherche. On peut en protéger 10 % ou 25 %, essayer de générer de quoi vivre, de manière raisonnée, sur une partie, et laisser le reste libre pour permettre à d’autres de continuer de se développer et de créer. 

Il y a ainsi beaucoup de réflexions issues du monde numérique transposables au monde physique et notamment les courants d’autogestion, le municipalisme, etc. Le monde du numérique est très souvent, sans le savoir, un mouvement, même si l’on ne le comprend pas très bien. Il existe beaucoup d’expérimentations qui mériteraient d’être analysées et replacées dans cette réflexion pour voir comment les transférer aux communs physiques.