Les métamorphoses de la gouvernance
C’est dans son ouvrage La République que Platon emploie pour la première fois la métaphore du pilotage du navire pour parler de la manière de gouverner les hommes.
La racine étymologique du mot « gouvernance » est issue du verbe grec « kubernân », qui se réfère au pilotage d’un navire (en utilisant le gouvernail donc). Ce terme a par la suite donné naissance au verbe latin gubernare (ayant le même sens) et à ses dérivés, dont gubernantia, qui ont engendré de nombreux termes dans plusieurs langues, et entre autres en français gouvernement, gouverner, gouvernance etc.
Au milieu du XVème siècle la gouvernance désigne, en français, la charge domestique de la gouvernante. Puis, à partir de 1478, on emploie le terme pour désigner une unité territoriale, particulièrement les provinces de l’Artois et de la Flandre, qui ont un statut administratif particulier et à la tête desquelles se trouvent un gouverneur. La gouvernance est alors une unité territoriale régie par un gouvernant et désigne plus l’empreinte géographique que le pouvoir ou l’action.
Cependant, le terme tombe progressivement en désuétude en France. Les unités territoriales sont d’abord réformées et uniformisées, jusqu’à être ensuite complètement abandonnées suite à la Révolution parce qu’associées à l’Ancien Régime.
En parallèle, le terme gouvernance passe dans la langue anglaise au XIVème siècle (où il devient governance) et désigne les modalités par lesquelles un pouvoir administre un objet (une entreprise ou un territoire). On relève le terme notamment au XVème siècle dans le livre d’un juriste anglais, intitulé The governance of England.
Il garde cette acception et reste dans la langue anglaise où, à partir des années 1970, il resurgit dans une nouvelle sphère : celle de l’entreprise, à travers l’expression corporate governance notamment (la gouvernance d’entreprise). C’est donc le secteur privé qui fait resurgir cette notion, qui désigne alors un mode de gestion des entreprises fondé sur une articulation entre pouvoir des actionnaires et de la direction.
Il faut ensuite attendre la fin des années 1980 pour voir le terme apparaître dans le champ des relations internationales. L’émergence du terme dans le vocabulaire de la science politique coïncide avec l’adoption par le pouvoir politique des mécanismes en vigueur dans la sphère économique, notamment le recours massif aux cabinets de conseil extérieurs. C’est également à cette époque que naît le New Public Management qui vise à rationaliser le fonctionnement de l’administration publique en s’inspirant de la gestion des entreprises privées. C’est à ce moment (fin des années 80s – début des années 90s) que le terme réapparaît en France dans les “sphères autorisées” : groupes de décideurs, clubs de réflexion, etc.
Aujourd’hui le terme de « good governance » est employé par les institutions financières internationales pour définir les critères d’une bonne administration publique. La Banque mondiale définit la gouvernance comme « l’ensemble des traditions et des institutions exerçant l’autorité sur un pays ce qui inclut : les processus par lesquels les gouvernements sont désignés, contrôlés et remplacés ; la capacité du gouvernement à formuler et à adopter des politiques de fond ; le respect des citoyens ; la capacité des institutions à piloter les interactions économiques et sociales. »
Selon l’IT Governance Institute, la gouvernance a « pour but de fournir l’orientation stratégique, de s’assurer que les objectifs sont atteints, que les risques sont gérés comme il faut et que les ressources sont utilisées dans un esprit responsable ». La gouvernance veille donc au respect des intérêts des « ayants droits » (citoyens, pouvoirs publics, partenaires, actionnaires…) et s’assure que leurs voix soient entendues dans la conduite des affaires.
« La gouvernance désigne l’ensemble des mesures et des règles qui permettent d’assurer le bon fonctionnement et le contrôle d’un État, d’une institution ou d’une organisation qu’elle soit publique ou privée ».
On voit donc que la gouvernance, dans son acception actuelle la plus courante, renvoie avant tout à un « système de gouvernance », qui implique notamment une structure de gouvernance et un dynamisme de système (les processus de gouvernance, les activités de gestion, mécanismes de contrôle, etc.).
Aujourd’hui on se réfère à la gouvernance comme forme de pilotage entre toutes les parties prenantes. Les décisions n’y sont plus le fait d’un unique décideur (ou groupe de décideurs), mais le fruit d’une concertation après avoir pesé le pour et le contre en fonction des différents intérêts de ces parties prenantes.
Cette question de la représentation et des ayants droit (qui et selon quelles modalités ?) est aujourd’hui fondamentale lorsque l’on parle de Gouvernance;
La gouvernance est donc à différencier du gouvernement en ce qu’elle désigne plutôt la manière de gouverner et d’« administrer » le gouvernement. C’est une notion qui s’est complexifiée et enrichie considérablement, et a dépassé le cadre originel de la pensée politique et du gouvernement des hommes.